Dans le contexte actuel de libération de la parole sur les violences sexistes et sexuelles au travail, deux géants de la consommation rapide sont pointés du doigt. Les enseignes Chronodrive et Mcdonald’s, leaders de l’emploi précaire, de l’exploitation des jeunes adultes et des étudiant.e.s, feignent de ne pas voir les agressions que subissent leurs employé.e.s au travail. La promiscuité et la précarité de ces emplois sont pourtant un terreau fertile pour les attaques sexistes et sexuelles. Aujourd’hui des employé.e.s se rassemblent pour prendre la parole, pour dénoncer ces situations et pour s’organiser collectivement, non sans rencontrer quelques obstacles.
“Managers agresseurs, McDo complice”
C’est dans ce contexte de travail particulièrement anxiogène que des employé.e.s de Mcdonald’s ont décidé de tirer la sonnette d’alarme en créant le collectif McDroits, en mars 2020, dans le but de se faire reconnaître et de dénoncer les pratiques sexistes auxquelles iels sont confronté.e.s. Ce mouvement a débuté aux Etats-Unis en 2018, lorsque 10 employé.e.s ont saisi la justice et ont porté plainte contre l’entreprise. Le mouvement s’est étendu dans plusieurs pays dont la France avec un slogan “managers agresseurs, McDo complice”. En mars 2020 les employé.e.s s’étaient déjà exprimé.e.s sur les risques sanitaires auxquels iels étaient confronté.e.s en étant en première ligne lors de la crise du covid-19, avec les hashtags #BalanceTonMcDo ou #MaViePourUneFrite. Le collectif McDroits, informe, conseille et protège les employé.e.s en les accompagnant dans leur démarche pour faire valoir leurs droits et faire appliquer le code du travail. Le collectif n’agit pas que sur twitter mais également dans la rue, avec des sessions de collages en ville, dans les abris-bus et devant les enseignes pour dénoncer les propos sexistes, grossophobes, racistes, transphobes et homophobes.
En mai, avec la réouverture progressive de tous les Mcdonald’s, une coallition de syndicats poursuit le groupe devant l’OCDE pour “harcèlement sexuel systémique” afin de dénoncer les violences et le harcèlement basé sur le genre. Le collectif McDroits prend alors la parole dans plusieurs médias et commence à collecter des témoignages afin de confronter la responsabilité du géant de la restauration rapide dans ces multiples affaires d’agressions, de harcèlements et même de viols. Le siège a accepté de recevoir le collectif McDroits en octobre 2020 dans une lettre où les dirigeants assuraient travailler à “renforcer encore plus [leurs] mesures pour offrir un environnement de travail toujours plus épanouissant, inclusif et garant de l’égalité des chances”. Le 13 novembre 2020 est une première victoire pour le collectif avec l’abolition de la jupe obligatoire dans tous les restaurants et l’annonce de la formation du personnel sur les questions de sexisme et de harcèlement. Comme effet d’annonce, Mcdonald’s s’est aussi engagé à respecter le prénom des personnes trans, à ouvrir une ligne d’écoute et de suivi psychologique et à élaborer un protocole d’enquête pour les référents CSE. L’entreprise fait un pas en direction de ses employé.es mais cela reste insuffisant car elle refuse de co-construire les dispositifs avec ses salarié.e.s. La façade de clown souriant n’a pas tardé à faire un écart devant ses “bonnes volontés”. Depuis ces engagements tenus en novembre, aucun n’a été respecté et l’entreprise refuse désormais toute communication avec le collectif. Il serait temps de prendre ses responsabilités et que les grandes entreprises accordent enfin à leurs employé.e.s la place qui leur est due.
Mathilde, qui travaillait dans un des restaurants du Havre et qui avait participé à la grève du 24 octobre, vient d’être licenciée début janvier. Avec le collectif elle avait participé à dénoncer le harcèlement moral et sexuel qu’une quinzaine d’employé.e.s avaient subi de la part des managers. Mi-décembre, elle est convoquée pour un entretien préalable au licenciement au cours duquel la direction lui explique que c’est à cause d’un like hasardeux sur un commentaire incitant à « brûler le McDo du Havre » et à cause de messages privés dans lesquels elle accusait son manager d’être « raciste, homophobe et misogyne ». Elle est licenciée seulement trois jours après, tout en sachant pertinemment que c’est à cause de son implication dans la grève et sa volonté de se battre contre les violences sexistes couvertes par la direction de l’entreprise.
Face au harcèlement le patronat réagit, il licencie
Cette situation n’est pas isolée. Chaque jour des femmes tentent de prendre la parole et de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent sur leur lieu de travail. Face à cette prise de parole, le patronat réagit : il licencie. Mais il ne renvoie pas les harceleurs et agresseurs, ce sont bien celles qui osent parler qui en font les frais. Rozenn, une étudiante de Toulouse, salariée à mi-temps chez Chronodrive, vit actuellement une situation étrangement similaire. La raison évoquée par Chronodrive pour justifier son renvoi est un tweet, publié le 27 février dernier, qui dénonce le gaspillage alimentaire dans l’entreprise.
Rozenn explique ce qui s’est passé ensuite : « Un samedi j’arrive au magasin, je n’ai même pas le temps de dire bonjour à mes collègues que mon directeur me convoque dans son bureau. Il me dit que je suis mise à pied et que ce n’est pas dû à la qualité de mon travail mais à ma vie personnelle. C’était le 6 mars. Le 15 mars, je suis convoquée pour un entretien dans lequel on me dit que le motif de cette mise à pied est le tweet en question. Je n’avais eu aucune information entre temps […] Ce qu’on me reproche aujourd’hui c’est d’avoir abusé de ma liberté d’expression, d’avoir écrit un tweet mensonger. Ensuite j’ai eu 20 jours de mise à pied, donc 20 jours sans salaire, dans l’attente de savoir si j’étais licenciée. Et il y a quelques jours, fin mars, j’ai reçu une lettre de licenciement […] Pour moi ce tweet ce n’était qu’un prétexte pour pouvoir me dégager de l’entreprise. En réalité ils ont essayé d’étouffer toute une histoire de harcèlement sexuel. »
Une direction qui silencie les victimes, c’est ça la politique Chronodrive
Rozenn est formelle, son licenciement est lié à son engagement syndical contre les violences sexuelles et sexistes au sein de l’entreprise. Elle explique qu’en octobre une de ses collègues est venue la trouver pour lui parler de ce qu’elle subissait au travail. « Ça fait trois ans que sa vie intime, sa manière de s’habiller, de se comporter, de se baisser appartiennent à toute la boite, qu’il y a des rumeurs, que les gens en parlent, que les gens ont envie de décider avec qui elle va coucher et de quelle manière. Elle n’était même plus présentée par son prénom mais par une insulte. Ça fait trois ans qu’elle va dans le bureau du directeur en pleurs, qu’elle n’en peut plus, qu’elle fait des dépressions, des arrêts maladie et que rien n’est fait. » Cette femme ce n’est pas la première ni la dernière à subir l’inaction de sa direction. On sait que sa sœur (dans le même magasin) avait dû travailler pendant des mois aux côtés de son violeur parce que la direction refusait de simplement aménager les emplois du temps. Ça montre bien tout le mépris que l’entreprise a pour ces questions.
Rozenn s’était syndiquée afin de pouvoir se défendre, d’obtenir de meilleures conditions de travail et pourquoi pas faire avancer ses droits en tant que femme. L’action de Rozenn voulait simplement pallier l’inaction de ses supérieurs. Mais le manque de réactivité de sa direction n’est pas anodine, c’est un choix, celui de conserver l’ordre établi, où les femmes ne peuvent pas s’organiser collectivement, où elles ne peuvent pas parler et exiger mieux.
Le message est clair : travaille et tais-toi !
Rozenn le dit elle-même « Ce que Chronodrive nous envoie comme message c’est horrible. C’est un message qui s’adresse à tous les employé.e.s et qui leur dit : si tu veux te défendre ou juste améliorer tes conditions de travail, nous on va réprimer. Et si tu ne te tais toujours pas, on va te licencier. » Ça c’est la politique du grand patronat, McDo, Chronodrive, Canal, la RATP, et ce ne sont que les affaires qui ont fait parler récemment.
Lorsqu’on sait qu’en moyenne 30 % des femmes ont déjà été harcelées ou agressées sur leur lieu de travail (étude Ifop de la Fondation Jean-Jaurès et de la FEPS) on ne peut pas parler de cas isolés, c’est bien un problème qui s’est généralisé et normalisé. Ce qui est d’autant plus grave et révoltant. Ici, le message est clair, si on veut s’organiser, se défendre, se battre, obtenir ou même simplement conserver nos droits, on est silencié.e.s et licencié.e.s. Alors qu’on se targue de vivre à l’ère #MeToo où la parole des femmes est libérée, il semblerait qu’un bon nombre de responsables refusent toujours d’écouter.