Née dans un milieu modeste, Wu Zetian est avant tout une femme qui a su s’élever au dessus de sa condition dans une société chinoise, et à une période, où la place des femmes est extrêmement limitée. L ’historiographie chinoise a cherché à en faire une femme cruelle, cupide et prête à tout par ambition et amour du pouvoir, voire à totalement taire son nom et les nombreuses mesures prises sous son règne. Vérité ou parti pris historiographique pour punir une femme qui n’a pas voulu se soumettre aux limites que lui imposait son statut à cette époque ? Intéressons-nous à Wu Zetian.
De concubine à nonne, de concubine à impératrice
On connaît peu d’éléments sur l’enfance de Wu Zetian. Elle serait née vers 625 sans que l’on sache avec précision si c’est à Chang an (actuel Xian), alors capitale de l’Empire, ou dans le district de Lizhou, dans la province de Sichuan, où son père, fonctionnaire de l’Empire, est alors en poste. Elle porte alors le nom de Wu Zhao. Son père, Wu Shihuo, sous-officier, s’est distingué lors d’une campagne militaire quelques années plus tôt, ce qui lui valut le titre honorifique de duc de Taiyuan (dans l’actuelle province du Shanxi au nord-ouest de la Chine). Sa mère, une certaine Yangda, serait apparentée à la famille Sui, la famille impériale ayant précédé les Tangs. On sait en revanche que le début de règne des Tangs est marqué par une renaissance culturelle. L’éducation et les arts, picturaux, poétiques ou littéraires sont enseignés relativement librement aux femmes. Il est donc probable que Wu Zhao ait bénéficié de cette éducation.
Son parcours devient plus clair quand elle entre au harem de l’empereur Taizong entre l’âge de douze ou quatorze ans, sous le nom de Mei. Selon certaines sources, c’est aussi à cette période qu’elle se serait liée avec le fils héritier de celui-ci, le futur empereur Gaozong. Ce qui est certain, c’est que déjà, elle se fait remarquer par son caractère et sa grande beauté. Cependant à la mort de Taizong, en 649, comme il est de coutume pour toutes les concubines sans enfants, elle est envoyée dans un monastère, tonsurée et faite nonne. Elle va y rester trois ans. Ce serait au cours d’un pèlerinage que Gaozong, devenu empereur suite à la mort de son père, croise à nouveau son chemin. Faisant fi de ses conseillers qui voyait d’un mauvais œil qu’un fils prenne pour concubine celle de son père – ce qui est considéré comme de l’inceste – , il décide de la réintroduire à la cour impériale et dans son gynécée. Il est appuyé par sa première épouse, l’impératrice Wang. Cette dernière, stérile, y voyait là un moyen de contrecarrer l’autorité et l’influence de la seconde épouse de l’empereur. Le plan semble marcher puisque dans un premier temps, la seconde épouse tombe en disgrâce et L’empereur, très épris de sa nouvelle concubine, l’élève rapidement. Wu Zhao profite de cette nouvelle position pour se construire un réseau d’alliances et de fidèles au sein du palais impérial.
Elle finit par accéder au rang d’impératrice et première épouse en 655, après avoir fait répudier l’impératrice Wang. Un an après, elle donne un fils à l’empereur et nouveau tour de force, elle le fait nommer héritier présomptif. Wu Zhao, devenue Zetian « selon la volonté du Ciel », se retrouve au sommet de l’échelle sociale pour une femme, à cette époque. Elle y est parvenue en seulement quatre ans après sa sortie du monastère. Au fur et à mesure que la santé de Gaozong décroît, elle travaille à sécuriser sa position et agrandir son pouvoir.
Elle n’hésite pas à renverser les traditions comme c’est le cas lors de cérémonies rituelles. En effet, il est de tradition que chaque année, l’Empereur réalise un sacrifice pour honorer la Terre et le Ciel, dont il est le lien entre les deux. Wu fait valoir que si le Ciel est bien masculin, la Terre est quand à elle féminine et que par conséquent, le sacrifice doit être fait par une femme. Comme aucun texte ne spécifie le sexe de celui qui effectue le sacrifice, elle obtient, sans trop de difficulté, le droit de procéder au cérémonial chaque année, lui permettant ainsi de se montrer comme un rouage essentiel au bon fonctionnement de l’Empire. Preuve supplémentaire de son pouvoir, s’il y en a besoin, elle fait inscrire sa famille dans le Registre des « Grandes Familles ». Elle se fait également appeler Tiānhòu, littéralement Impératrice Céleste, une référence directe au titre impérial masculin, et un acte complètement inédit dans l’histoire chinoise.
Gaozong meurt en décembre 683, des suites d’une maladie chronique. Des quatre fils qu’il a eus avec Wu Zetian, c’est le troisième qui accède au trône impérial, les deux aînés étant eux aussi décédés. Il prend le nom de Zhongzong. En vérité, celle qui dirige, c’est sa mère. C’est elle aussi qui le démet de son titre pour lui préférer son dernier fils, Ruizong, plus maniable et influençable. En réalité, Wu Zetian prépare surtout sa propre ascension au pouvoir. Elle met en scène la découverte d’une stèle, gravée pour l’occasion des mots « La sage mère est descendue sur la terre ». Le but est de lui conférer le mandat céleste, un concept chinois qui fonde la légitimité d’un empereur à gouverner en vertu de certaines qualités morales. Son fils, Ruizong, lui octroie à sa demande, le titre de « sainte mère et empereur divin ». En 690, Wu Zetian le rétrograde au titre de prince héritier. Elle devient officiellement « empereur de la dynastie Zhou », une ancienne dynastie dont elle revendique la parenté. Elle prend le nom d’empereur Shengshen (Shengshen Huangdi) et fonde sa propre dynastie dont elle est l’unique représentante.
Ne subsistant plus aucun obstacle entre elle et le pouvoir, Wu Zetian poursuit sa politique. Son règne est marqué par de nombreuses propositions en faveur des agriculteurs, éleveurs et des femmes. Parmi les mesures clefs de son règne : une baisse des impôts, la création de centres de soins pour les femmes, des statuts sociaux pour les veuves et les vieilles femmes, une augmentation de la période de deuil suite au décès de la mère – rendue équivalente à celle du deuil du père. Elle s’oppose également aux corvées qui sont des tâches imposées par un souverain et non rémunérées. Elle favorise une plus libre expression et marque son règne d’un fort soutien au bouddhisme, se détachant du taoïsme de ses prédécesseurs. Son règne signe aussi le retour du recrutement des fonctionnaires sur un système méritocratique. Elle met en place un véritable système d’inquisition afin de repérer et exécuter ses opposants. Wu Zetian finit par se débarrasser de cette institution devant l’opinion publique qui n’y était pas très favorable. Elle parvient également à maintenir son pouvoir en dépit de nombreux soulèvement internes, dus à certains de ces opposants ou ministres qui s’opposent à ce qu’une femme les gouverne. Concernant sa politique extérieure, elle tente de mettre en place une paix avec le Khan des Turcs mongols mais ce dernier refuse de reconnaître son autorité. Elle parvint cependant en 692 a récupérer les 4 garnisons du Tarim, Kartcha, Karachahr, Kachgar et Khotan, points clefs de la défense à l’est du pays.
Elle finit par tomber malade en 704 avant d’être forcée à abdiquer en faveur de son fils, en 705, suite au soulèvement d’un de ces ministres. Elle meurt peu de temps après à l’âge de 74 ans. Elle est inhumée au mausolée de Qianling. Sa stèle n’est pas gravée comme si ces opposants avaient espéré qu’en omettant son nom, elle tombe dans l’oubli. Ses dernières volontés font l’objet d’une véritable enquête d’authenticité, puisqu’elle aurait demandé à être enterrée aux côtés de Gaozong en sa qualité simple d’épouse.
La légende noire
Si Wu Zetian est si méconnue aujourd’hui c’est parce que l’histoire n’a retenu d’elle que la légende noire qui l’entoure, quitte à en oublier tout le reste. Son ambition ne semble avoir eu d’égard que sa cruauté et son manque de scrupule. On l’accuse ainsi d’avoir fait disparaître son premier enfant, une fille, née de son union avec Gaozong. Elle l’aurait étouffée et aurait fait accuser l’impératrice Wang se débarrassant par la même occasion d’une rivale encombrante. On lui ampute également la mort de ses deux fils aînés, tour à tour évincés du statut d’héritier impérial. Le premier meurt empoisonné, le second est assassiné. Elle est également soupçonnée par certains historiens de la mort de l’empereur Gaozong, décédé des suites d’une longue maladie. Quid de sa petite-fille, la princesse Yongtai, présumée empoisonnée par sa grand-mère, avec son frère et son mari ? Et des nombreux opposants torturés et tués des mains de son inquisition ?
Nous ne saurons jamais si Wu Zetian est bien responsable ou non de leur mort. Elle était peut-être une femme cruelle et dévouée de scrupules, elle a peut-être fait assassiner beaucoup de ses opposants et parfois certains de ses proches. Ce qu’elle a fait n’a rien d’une exception historique. Mais parce que c’était une femme et une usurpatrice, on la cantonne à ce rôle de femme manipulatrice et cruelle. Elle n’en restait pas moins une souveraine fort capable. Une souveraine évoluant dans un monde où la violence était banalisée, institutionnalisée. Une souveraine dont on s’est empressé d’effacer l’œuvre et la trace dans l’histoire.