Pourquoi les filles ne jouent-elles pas au foot ?

Aucune petite fille ne naît en sachant qu’elle ne sera pas légitime à taper dans un ballon. Il n’y a aucune raison physiologique pour qu’elles n’aiment pas ce jeu et qu’elles ne soient pas capables d’y jouer. Pourtant on voit encore très peu de filles jouer au foot dans l’espace public, à l’école ou en club. Les footballeuses pro sont également bien moins nombreuses et bien moins payées que leurs homologues masculins. Il y a de nombreux facteurs qui expliquent pourquoi, encore aujourd’hui, le football reste un sport typiquement masculin. Des facteurs liés à un sexisme parfois assumé, mais surtout totalement intériorisé.

Un sport longtemps interdit aux femmes

Historiquement, les premières équipes de football féminines se forment après la première guerre mondiale. La France veut des femmes robustes pour relancer la natalité après la guerre et dans un élan de pensée hygiéniste, le pays encourage toute forme de sport. Mais chassez les préjugés et ils reviennent au galop ! Cette pratique du football par les femmes est très vite décriée par les hommes. Ils jugent le sport trop peu gracieux pour elles, trop violent, et craignent même que cela ne les rendent trop masculines, incapables de procréer. A peine 10 ans après leur création, presque tous les clubs féminins ont disparu. Le football féminin est interdit aux Jeux Olympiques en 1928 puis par le régime de Vichy dans les années 1940.

Malgré cela les femmes continuent de jouer, avec leurs frères, avec leurs ami.e.s parfois, ou entre elles en périphérie des villes. Mais elles n’ont plus accès aux terrains, ni aux associations et ne peuvent donc pas pratiquer le sport de la même manière que les hommes. Pendant une quarantaine d’années, la majorité des femmes savent qu’elles n’ont rien à faire sur un terrain.

Dans les années 1960, des hommes ont la drôle d’idée d’organiser des matchs féminins comiques, pour le plaisir de leurs yeux. Celles qui s’entraînent en périphérie, depuis des années sautent alors sur l’occasion pour montrer ce qu’elles savent faire. Elles ne veulent pas rire, elles veulent jouer. Les femmes s’intéressent de nouveau à ce sport et des clubs féminins se recréent petit à petit. Ils sont désormais créés par des femmes, pour les femmes. La FFF (Fédération Française de Football) est finalement forcée de reconnaître la ligue féminine en 1970.

Un sport toujours monopolisé par les hommes

Le football féminin n’est donc autorisé et reconnu que depuis une cinquantaine d’années contre presque un siècle et demi d’existence pour le football masculin. Il n’y a toujours pas de ligue féminine professionnelle à ce jour en France. On compte 290 joueuses en première division dont seulement 161 qui sont sous contrat, contre à peu près 113 000 joueurs professionnels recensés en 2007 sur le territoire français.

Le salaire annuel moyen pour une joueuse professionnelle (si elle a la chance d’être rémunérée) est d’environ 29 000€ (2 494€/mois exactement) contre 94 000€ de moyenne pour les joueurs masculins. La comparaison est encore plus frappante au sommet. Si l’on prend l’exemple des salaires des joueuses de l’Olympique Lyonnais, qui sont les mieux payées en France et reconnues internationalement, il est encore bien inférieur à celui des équipes masculines. Ada Hederberg, la joueuse la mieux payée en 2019 touche 400 000€/an, ses coéquipières Amandine Henry et Wendie Renard environ 350 000€/an. Ce salaire, c’est le salaire mensuel d’un joueur masculin de l’OL comme Anthony Lopez par exemple. C’est aussi un salaire 92 fois inférieur à celui du meilleur joueur masculin en France.

On aurait pu croire qu’en 50 ans les choses auraient bougé pour les joueuses. Pourtant le foot est toujours un sport grandement monopolisé par les hommes, que ce soit au niveau professionnel ou au quotidien.

Un monopole masculin instauré dès le plus jeune âge.

Dès le plus jeune âge, des inégalités se créent ou du moins se perpétuent. Une cour de récré n’est pas un endroit hors du monde, mais bien un endroit où on reproduit les inégalités. L’espace y est construit de manière inégale et permet aux garçons de se l’approprier dès le plus jeune âge. Les terrains de foot y sont encore trop souvent centraux et monopolisés par les garçons. Si un adulte ne vient pas mettre en place un autre fonctionnement par choix, les enfants vont (souvent) instinctivement reproduire ce schéma genré de l’occupation de l’espace public.

Une observation que j’ai pu faire sur la récré d’une école primaire : quand on donne le ballon aux filles dans la cour de l’école, les garçons les épient, rient quand elles ratent et ne cessent de rattraper le ballon dès qu’il va dans leur direction. Ils agissent comme s’ils avaient un monopole sur le jeu et que les filles s’immisçaient sur leur territoire. Qu’ils en aient conscience ou pas, ils mettent la pression par leur présence constante sur et autour du terrain. Ils ne laissent aucune place à l’erreur et découragent très vite, à coup de moqueries, celles qui veulent s’initier.

On se trouve dans une sorte de cercle vicieux qu’il faut briser. Les garçons s’accaparent le ballon dans la cour de l’école et croient qu’ils sont les seuls à savoir jouer. Faute d’accessibilité aux activités sportives extérieures ou à cause des préjugés, les filles ne se sentent plus légitimes et restent sur le bord du terrain définitivement. Les nouveaux arrivent à la rentrée, il n’y a pas de filles sur le terrain, les moqueries recommencent pour les rares qui s’y essayent, et à la fin de l’année il n’y a toujours pas de filles sur le terrain.

Peut-on faire du milieu du football un milieu légèrement moins sexiste ?

On peut agir dès l’enfance, tenter d’intégrer les femmes à la pratique sportive aujourd’hui, chacun et chacune à notre échelle, et surtout on peut continuer de se questionner. Il est nécessaire de réaliser que la non-présence des femmes sur les terrains de foot est une manifestation concrète de la société patriarcale dans laquelle on vit, et non pas due à des préférences innées, liées à l’assignation à la naissance à un genre masculin ou féminin.

Afin d’effacer cette inégalité dès le plus jeune âge, plusieurs initiatives ont été menées dans les écoles. La première solution (qui a été testée dans certaines écoles) serait d’interdire complètement le foot à la récré. Mais ne serait-ce pas cacher le problème sous le tapis, que de rayer le foot de la carte ?

La deuxième solution est de déplacer les terrains de foot en périphérie et mettre des espaces de jeux mixtes au centre des cours de récré (ces initiatives de cours de récré non-genrée ont déjà été mises en place notamment dans certaines écoles de Rennes Métropole et sont vouées à être développées). Cela permet de régler le problème d’inégalité de l’occupation de l’espace mais pas celui du monopole masculin sur le terrain de foot. Pour cela il est nécessaire d’inciter les filles à essayer le foot à n’importe quel âge (il n’est jamais trop tard), mais surtout de ne laisser aucune place aux réflexions sexistes sur le terrain. Il est temps que les filles se sentent légitimes n’importe où, y compris sur un terrain de foot. 

Léa Julienne

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