Les violences féministes : fiction, réalité ou nécessité ?

Retour sur La Terreur Féministe. Petit éloge du féminisme extrémiste par Irene

Qui n’a jamais ressenti une certaine réticence dans son auditorat à la mention de son féminisme ? Et quelle féministe ne s’est jamais faite traiter d’« extrémiste », de « castratrice » ou du désormais classique « féminazie 1» ? L’un des premiers arguments antiféministes serait la violence et l’agressivité dont feraient preuve les femmes qui se battent pour défendre leurs droits. À l’inverse, ces dernières répliquent la célèbre phrase de Benoîte Groult selon laquelle « le féminisme n’a jamais tué personne ». Qu’en est-il véritablement de la violence féministe ? C’est la question que s’est posée Irene dans cet essai, son premier livre. Retour sur cet ouvrage.

Il s’agit du premier livre de l’autrice Irene (prononcez Iréné), militante féministe de 21 ans. Il est le résultat de plus d’un an de recherches abouties sur le thème de la violence féministe. Loin d’être une apologie de la violence, bien au contraire, ce livre pose un constat simple. La violence féministe part de la violence patriarcale.

Au travers d’une série de portraits de femmes, réelles ou fictives, connues ou anonymes, de toutes les nationalités, Irene s’est intéressée à la question de la violence chez les femmes. Le verdict est sans appel. Pour parler de violence féministe, il faut d’abord accepter que les femmes puissent être violentes. Or comme le dit si bien l’autrice : « Si, depuis des siècles, la société tend à séparer la violence des femmes, à estimer que les femmes ne peuvent être ni dangereuses ni menaçantes, à les empêcher de faire usage de la violence ou à réagir face à elle, c’est, entre autre chose, car telle que « la femme » est conçue et comprise par la société, l’idée de la violence n’existe pas dans son imaginaire. » Dès lors, comment pourrait-elle faire usage de violence ou juste envisager cette éventualité ? Parler de violence féministe, c’est déconstruire cette croyance. La violence féministe existe. Elle existe dans la peinture, dans la littérature et dans la cinématographie, avec les films du genre rape & revenge 2. Bien trop souvent pourtant, pour être acceptée par la société elle doit passer par le filtre du male gaze qui tend à érotiser les violences subies par les femmes, celles-là même qui les ont menées à cette violence.

La violence féministe existe et plus que ça, elle est nécessaire pour certaines. En 2018, une étude à été réalisée par le Ministère de l’Intérieur sur les morts violentes au sein du couple, en France. En voici quelques chiffres. Au cours de l’année 2018, 28 hommes ont été assassinés par leur compagne. 15, soit 54 %, avaient déjà fait preuve de violence sur leur femme. En 2017, sur 16 hommes tués, 11 (68, 8 %), avaient été violents. Entre 2012 et 2018, 78 femmes ont assassiné l’homme qui les maltraitait. Pourquoi un tel chiffre ? Pourquoi avoir recours à la violence ? Parce que dans l’état actuel de la société, le système judiciaire, résolument blanc, bourgeois et patriarcal, ne permet pas de protéger ces femmes et d’obtenir justice. Quand la justice est impuissante, quand l’autorité étatique ferme les yeux sur cette réalité, que reste-il à ces femmes comme alternative ? « Vivre dans la peur du viol, c’est violent. Risquer de mourir en avortant clandestinement, c’est violent. Les mutilations génitales, c’est violent. Les violences conjugales, c’est violent. Sont également violents l’invisibilisation des femmes dans l’histoire, leur précarité, ainsi que le contrôle abusif pratiqué sur leurs corps. Le patriarcat est violent par essence. ». Il n’y a qu’à prendre l’exemple encore tout frais de Valérie Bacot, victime de viols et violences à répétition et forcée à la prostitution par son beau-père incestueux devenu mari. Combien de dépôts de plaintes avaient été faits ? Combien ont fait l’objet d’une prise en charge sérieuse et d’un suivi ? La réponse tient en un mot. Aucun.

Les faits sont là : aujourd’hui « […] violer une adolescente est socialement moins honteux que d’être violé.e.». Citons l’exemple de Polanski, violeur, pédocriminel et multi-récidiviste reconnu, et pourtant récompensé en 2019 par un César pour son film. Un bel exemple de carrière et de vie ruinées par le féminisme… « Dans le système patriarcal, les hommes exercent la violence pour marquer leur statut dominant. Il ne s’agit pas de savoir si tous les hommes sont des violeurs ou des meurtriers, mais d’accepter que le système leur donne la possibilité de l’être et ce sans nécessairement risquer grand-chose. Qu’ils le veuillent ou non, tous les hommes cisgenres bénéficient des privilèges du patriarcat. » écrit l’autrice. Un exemple de plus serait de comparer les condamnations entre les femmes et les hommes qui tuent leur conjoint.e.s. Là encore, les chiffres sont parlants. Les femmes tuant leurs maris sont condamnés à 15-20 ans de réclusion criminelle quand les hommes tuant leurs femmes n’encourent en moyenne que 7 ans 3. Pourquoi une telle différence de peine ? Car les femmes sont perçues comme plus calculatrices et par conséquent préméditeraient plus leur acte, là où les hommes ne seraient qu’« impulsivité ». Notre culture patriarcale, nos institutions protègent les coupables et diabolisent les victimes, ces mêmes victimes que la loi, la société abandonnent et qui n’ont eu d’autres choix que d’avoir recours à la violence pour ne pas mourir. Pourtant, comme le fait si justement remarquer, une fois de plus Irene : « La prison ne protège pas les femmes et ne réforme pas les violeurs. »

La violence contre les femmes est banale, ordinaire, constante. La violence faite aux hommes par les femmes est défensive, légitime. C’est tout simplement un moyen de survie, d’auto-défense. Mais toute action politique qui défie l’ordre institutionnel établi se doit d’être considérée par le pouvoir comme « violente » et le féminisme n’échappe pas à cette règle. L’État, voilà le véritable responsable. « Il y a une fâcheuse tendance, encore aujourd’hui, à reporter la faute de la misogynie sur la « société ». Or « la société » ainsi évoquée représente une entité invisible et dépolitisée. Mais l’oppression des femmes n’est ni imaginaire, ni invisible, il faut donc admettre que les sujets oppresseurs ne le sont pas non plus. Pointer du doigt les figures oppressantes signifie pouvoir définir les stratégies les plus efficaces à adopter pour en finir avec l’oppression. »

L’idée qu’une femme puisse user de son corps comme arme défensive pose problème. En tant que femmes, cisgenres et transgenres, ou personnes perçues comme telles, ce sont nos corps qui sont sans cesse soumis aux regards et aux jugements, à la discrimination et aux humiliations. Nos corps sont pour les violences patriarcales la principale cible. De notre poids, en passant par la question de la maternité, à la couleur de notre peau, nos corps sont perpétuellement sexualisés, instrumentalisés, violés, meurtris, tués. Avoir recours à la violence, c’est transformer ce réceptacle de la domination masculine qu’est notre corps en arme. C’est se réapproprier quelque chose qui pourtant nous appartient.

Erell

1 – Terme popularisé par Rush Limbaugh dans les années 1990 dans son émission de radio The Rush Limbaugh Show pour désigner une militante pour le droit à l’IVG.

2 -Viol et vengeance.

3 – Observatoire International des Prisons.   

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