Le jeudi 25 novembre 2021, France 2 diffuse un numéro d’Envoyé Spécial dont la première partie est consacrée à la parole de femmes ayant été agressées sexuellement et/ou violées par Nicolas Hulot, ancien ministre de l’écologie dans le gouvernement d’Edouard Philippe. S’appuyant sur plus de quatre années d’investigation et s’inscrivant dans la suite du mouvement mondial de libération de la parole des femmes, Me Too, ce travail d’enquête journalistique se place comme exemple dans la manière de traiter médiatiquement les violences sexistes et sexuelles (VSS).
Le pouvoir de la parole : redonner du poids aux témoignages
Ce reportage, dirigé par Virginie Vilar, journaliste à Envoyé Spécial, se présente sous une forme particulièrement novatrice sur le traitement des faits de VSS dans les médias. En effet, sur une heure de reportage, plus des deux-tiers sont occupées par les témoignages directs des femmes accusant Nicolas Hulot de les avoir agressées sexuellement et/ou violées. Sobrement, sans tomber dans une mise en scène relevant du pathos, l’équipe de tournage a ouvert la voie à ces témoignages face caméra. Laisser parler, écouter et faire confiance aux témoignages, cela a été un des éléments central de cette émission. Bien que les témoignages de ces femmes sont, pour la plupart, étayés d’éléments de preuve recherchés par l’équipe de journalistes, dans un souci de vérification des faits propre au travail journalistique, la parole de ces femmes règne.
La mise en résonance des témoignages de ces femmes, est une force pour le travail de déconstruction à faire sur l’image positive, quasi insoupçonnable de Nicolas Hulot. A cette résonance des témoignages, s’ajoute un élément important aux yeux de l’opinion publique : le visage des victimes. En effet, une des critiques adressées au mouvement Me Too, est le soi-disant manque de fiabilité des témoignages et la “lâcheté” des témoignages qui se ferait de manière anonyme, souvent en ligne. Cette critique qui mériterait un article pour elle seule, est symptomatique d’une société encore trop peu éduquée aux enjeux des VSS, et plus largement à la critique du patriarcat. Une fois les visages découverts, le public peut enfin écouter et se concentrer sur l’important : les faits rapportés. Cette levée de soupçon par ce dévoilement des visages ainsi que la sobriété de la mise en scène permet d’amener le téléspectateur au-delà du spectaculaire et faire régner la parole des concernées. L’intérêt des journalistes étaient d’attirer l’attention du public sur le récit, intime, difficile, traumatisant, violent, d’une femme, puis d’une autre, qui témoigne volontairement, sans intérêts judiciaires personnels –les faits exposés ayant été prescrits– dans l’intérêt de ce même public. L’attention portée à leurs histoires permet à l’équipe d’Envoyé spécial de replacer les témoignages de victimes dans une ambition de performativité des discours, tant qu’ils sont capables de se suffirent et de produire une condamnation. Laisser de l’espace à la parole, ne pas remettre en doute la véracité des propos tenus, constituent les deux éléments premiers d’une société où les VSS n’attireraient plus le doute constant sur les discours de victimes.
Pour en finir avec la culture de la culpabilisation des victimes
Bien plus qu’un reportage portant sur les accusations à l’encontre de Nicolas Hulot, l’émission a également permis de relayer des messages politiques importants sur les mécanismes de rapports de pouvoir à l’œuvre dans les situations de VSS, ainsi que sur les processus psychologiques et sociaux auxquels sont confrontées les victimes de ces violences.
A travers ces témoignages, les femmes répondent aux principales questions suivantes : Pourquoi ne pas avoir porté plainte ? Pourquoi attendre plusieurs années avant de porter plainte et/ou en parler? Pourquoi ne pas s’être faite aider par un proche, ne pas en avoir parlé à son entourage ?
Les réponses directes ou indirectes apportées à ces trois questions peuvent être résumées en une phrase : Nicolas Hulot était et continue d’être un homme de pouvoir, qui plus est, protégé par une société qui se conforte dans les comportements sexistes produits par le patriarcat. Autrement dit, elles faisaient face à un homme connu, respecté, encensé par l’opinion publique, avec qui elles étaient toutes prises dans un rapport de force les mettant en position de vulnérabilité sociale ou psychologique, et dont le comportement était connu mais accepté car faisant partie de son “côté dragueur”, “lourd”. Ainsi, pour son entourage politique et amical, Nicolas Hulot n’agressait pas, il draguait, il “forçait”. Ces propos, propres à la fraternité –au sens de l’entraide entre hommes- sont symptomatiques d’une société et d’une fraternité encore incapable de reconnaitre les mécanismes de violences patriarcales à l’oeuvre dans les rapports quotidiens entretenus entre les hommes et les femmes.
Dans un second temps, on peut aborder l’exigence de perfection et l’irréprochabilité imposée aux victimes de VSS, par la société patriarcale, qui applique la loi sociale du “zéro faux pas” aux femmes qui ont fait le choix de témoigner. La clarté du discours de ces femmes, des années après les faits, qui est égale à la violence du traumatisme subi, permet d’éclairer les critiques souvent faites aux victimes, sur leur prétendue part de responsabilité dans les agressions subies. Prises au piège dans sa voiture, dans un taxi, dans son bureau, dans sa maison, elles détaillent le mode opératoire d’un homme de pouvoir, face à qui, à travers différentes situations où elles sont rendues vulnérables par leur âge, leur situation professionnelle ou privée, elles ne peuvent chercher de l’aide. Elles savent, par connaissance du fonctionnement des rapports de pouvoir, plus précisément ici de genre et de classe, qu’elles ne possèdent pas les moyens pour mener un combat égal, même en justice. Impossibilité d’apporter des preuves autre qu’un témoignage, connaissance des relations amicales entre Nicolas Hulot et Jacques Chirac –alors Président de la République– peur de perdre son emploi et de ne pas pouvoir nourrir son enfant, honte sociale jetée sur les victimes d’agressions sexuelles, etc. Autant d’arguments qui éclairent le public sur les raisons de leur mutisme, et qui rendent ce silence non pas suspect, mais raisonnable au vu des éléments avancés, qui sonne plus comme une condamnation de souffrance à vie que comme un quelconque manque de courage, de force.
L’enquête journalistique : quand la justice se défausse
En France, le système judiciaire fonctionne sur le modèle inquisitoire, à savoir que c’est au juge d’instruction de trouver les éléments à charge, mais aussi à décharge pour l’accusé.
L’équipe d’Envoyé Spécial a fait le travail de la justice, du moins a tenté de se caler sur le même modèle puisqu’en plus des témoins à charge, elle est allée chercher des témoignages de son entourage proche, plutôt à décharge, mais a aussi contacté le principal intéressé, Nicolas Hulot. Le fait que ce média ait fait le choix d’enquêter, de mobiliser des moyens financiers et humains pour une investigation, est symptomatique des lacunes d’un système judiciaire à la fois dépassé par certaines questions sociétales, mais est aussi incapable de sortir des mécanismes patriarcales à l’oeuvre dans son fonctionnement, l’aveuglant sur la possibilité que tous les rapports sexuels ne sont pas nécessairement consentis et que les hommes peuvent avoir recours à la violence.
Pourquoi la justice ne s’est-elle pas saisie de ces récits ? Tout d’abord, il faut savoir que sur les 5 femmes ayant directement ou non témoigné dans ce reportage, seule une a déposé plainte, pour viol. Les autres femmes, dont les faits sont prescrits, n’ont pas entamé de démarches judiciaires. La seule plainte déposée arrivant 11 ans après les faits rapportés est classée sans suite par le procureur de Saint-Malo car il y a prescription des faits. Mais alors que celui-ci aurait pu s’arrêter là, il ajoute la phrase suivante dans le même document adressé à Nicolas Hulot : “que les faits dénoncés qui en tout état de cause n’apparaissaient pas établis”. Cette phrase en dit beaucoup sur les mécanismes sexistes présents dans le traitement judiciaire des affaires de VSS. En effet, les faits ayant été prescrits, aucune enquête n’a été ouverte et donc aucun élément ne peut être vérifié ou non par le juge d’instruction. C’est une manière comme une autre d’afficher son soutien entre hommes, d’exprimer une forme de compassion, de fraternité envers Nicolas Hulot, qui disons le, ne fait que renforcer l’impunité dans laquelle il nage depuis des décennies.
Donner du crédit, de la place, de la voix à ces témoignages c’est mettre un terme au doute installé sur le caractère consenti des actes qui ont eu lieu. C’est également laisser la possibilité à ces femmes d’obtenir justice face à un système judiciaire défectueux et embrumé par une société patriarcale. C’est enfin et surtout une opportunité pour les médias de travailler sur le traitement des VSS et le rôle que ceux-ci peuvent avoir dans la lutte pour la fin de l’omerta sur ces violences dans la société.
Après avoir visionné l’émission, on peut se demander si le travail d’investigation mené par Envoyé Spécial, ne serait pas une leçon pour le système judiciaire mais aussi pour la société toute entière. Ces femmes qui témoignent ont su trouver la confiance en les médias pour porter leurs paroles, d’intérêt public. Alors, au final, est-ce qu’il ne s’agirait pas d’envoyer un message à toutes les femmes victimes de ces violences, et à tous ceux vivant dans l’impunité, que la force de notre parole est désormais d’avoir des espaces pour la faire entendre et des oreilles sensibilisées pour la croire.
Johanna.
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