Quand la guerre décuple le sexisme autour des Ukrainiennes

Ukrainian girl, ukrainian porn, war porn, refugee porn… Ce n’est là que les plus populaires des occurrences en tendance ces derniers jours sur les moteurs de recherche, sites pornos en tête. Sinistre conséquence de la guerre qui sévit en Ukraine depuis le 24 février, la consommation de contenus sexuels imputés à des Ukrainiennes explose.

La figure de la femme de l’Est hypersexualisée n’est pas nouvelle. Elle est si ancrée dans nos mœurs que certain.e.s n’y voient qu’un fantasme un peu trivial, savamment entretenu par la communauté médiatique. Des sites comme draguedelest.fr proposent des rencontres exclusivement avec des femmes originaires des pays de l’Est européen, agrémenté d’un “comparatif” avec les Occidentales. On trouve aussi, en deux clics, cette agence matrimoniale parisienne qui écrit sur son site que “Les femmes de l’Est, Ukrainiennes ou Russes, sont jolies, de bonne moralité, fidèles, féminines (…) douces et dévouées, cultivées, attentionnées et avec des valeurs familiales”. Je vous laisse admirer le descriptif complet, un véritable retour aux années 1950…

Bref, on a compris le tableau : la femme de l’Est, c’est le fantasme d’une femme plus belle que la norme et entièrement tournée vers son partenaire. Elle est présentée comme l’opposition de la femme occidentale, “devenue insaisissable” selon le même site web. 

La guerre et le paroxysme du sexisme en ligne

Si ce fétichisme obsolète fait déjà rouler des yeux en ce début d’année 2022, la guerre n’a fait qu’aggraver la situation, en y ajoutant sa dose de fantasmes de domination. En témoigne le terme war porn qui frise la connotation avec le viol comme instrument de conquête en temps de guerre. Il n’est pas question ici des rencontres et des relations consenties qui peuvent se nouer avec des Occidentaux ou des Russes – on a pu observer que les Ukrainiennes étaient massivement matchées par des soldats russes sur Tinder – mais de la violence qui découle de ces fantasmes et qui s’exprime sans complexe sur internet. La figure de la réfugiée est venue se greffer sur celle de la femme sexualisée : l’Ukrainienne qui demande l’asile étant perçue comme vulnérable et dans le besoin, elle ne peut rien refuser àses sauveurs.

Sur Pornhub, les mots-clés relatifs à l’Ukraine et aux femme ukrainiennes sont parmis les plus recherchés. Ukraine, ukrainian girl, ukrainian porn sont en tête.

De même, grâce à Google Trend, on observe de façon marquée l’augmentation brutale de ces mentions sur le moteur de recherche depuis le début de la guerre.

C’est le collectif féministe StopFisha qui a remarqué le phénomène, à travers un post instagram publié il y a quelques jours. On peut voir les courbes s’envoler dès la fin du mois de février.
De l’autre côté, les Ukrainiennes qui ont décidé de prendre les armes pour défendre l’indépendance de leur pays n’échappent pas non plus à cette logique et sont perçues comme des femmes qui savent y faire. Visiblement, ça ne gêne pas certains d’étaler leurs fantasmes sexistes en public :

Un stéréotype né il y a 30 ans

Pour comprendre la prévalence de ces stéréotypes sexuels, il faut remonter à l’effondrement de l’URSS, en 1991. Désormais libérée du joug soviétique, l’Ukraine doit reconstruire toute son économie et s’ouvre progressivement sur l’Europe de l’Ouest. Le taux de chômage est particulièrement élevé et les femmes doivent trouver du travail pour subvenir à leurs besoins. La prostitution devient alors un moyen rapide de gagner de l’argent, au point que le pays devienne, en quelques années, une destination phare pour le tourisme sexuel.

Dans le même temps, l’arrivée massive de femmes originaires de ces nouveaux pays en Europe occidentale, au sein de réseaux de prostitution nourrit un peu plus l’image fantasmée de la femme de l’Est. L’Organisation internationale pour les migrations a estimé qu’entre 1991 et 1998, 500 000 Ukrainiennes ont été l’objet de trafics vers l’Occident. Ce type de tourisme a aussi fait un bond en 2012, durant le championnat d’Europe de football qui s’est déroulé en Pologne et en Ukraine.

Selon les sociologues Ronan Hervouet et Claire Schiff, l’immigration venue des pays russophones depuis 1991 a pour particularité d’être très féminisée. Ainsi, sur 100 mariages franco-russes ou franco-ukrainiens en France, plus de 90 étaient une union entre un époux français et une épouse étrangère. Les deux chercheur.euse.s y voient une logique de donnant-donnant : “Les femmes de l’Est échangeraient leur subordination contre un confort matériel et un meilleur statut social, la migration devenant l’aboutissement d’une forme “d’échange économico-sexuel”.”

Il est difficile, dans le cas du cybersexisme, d’observer les conséquences réelles que cela peut avoir sur les femmes. En revanche, ces éléments permettent d’y voir plus clair sur l’origine de cette fétichisation ancienne des femmes de l’Est. Toutefois, l’attirance dont elles font l’objet est depuis quelques jours fondée, soit sur leur statut de femmes victimes du conflit, soit de femmes fortes face à l’envahisseur. Dans les deux cas, cette vision du sexe par le prisme de la guerre ne peut que mener à des comportements malsains comme ceux qui s’expriment actuellement sur certains réseaux sociaux et sites pour adultes. Pour le moment, aucune réaction ou réponse de la part des responsables de domaines comme Pornhub n’a été émise quant à ces recherches en tendance.

Par Eva.

©Dessin de Léa @lijheart

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